Édito de juin


Avec un retard que l’on jugera mérité, Quartier Libre fête le dernier numéro d’une année universitaire houleuse et (presque) achevée. Pour consolider son sommaire, la rédaction a cru bon attendre quelques semaines et l’envoi des premières bobines cannoises pour faire le tri. On ne reviendra pas sur cet état des choses mais le nombre exponentiel de sorties hebdomadaires reste un vaste écran de fumée qui cache la plupart du temps une pauvreté artistique et une prise de risque minime. L’Amérique plutôt absente (d’où notre intérêt pour la reprise du premier Scorsese et la découverte du dernier FF Coppola) reste en même temps ultra présente avec ses images surgelées, creuses et exportables à l’infini… On attendra la sortie du prochain Michael Mann et Tarantino parmi le torrent de blockbusters estivaux pour voir si, de ce côté, l’espoir est encore de mise.

Truffaut disait : « En France, tout le monde a deux métiers, le sien et critique de cinéma. ». Ce qui revient à dire que tout le monde détient une opinion sur les résultats du festival de Cannes. Et le scepticisme étant la seule vraie manière de voir les choses, on émet de sérieux doutes sur la remise de la palme d’or par la présidente du jury, Isabelle Huppert, à son ami et versant glacial Michael Haneke. Le plus cynique des réalisateurs replonge glorieux dans son océan de cinéma arctique et finit d’achever la respectabilité de ladite récompense. Et florilège d’une discussion entre Sean Penn et Huppert dans Première avant le festival. Penn : « Avez-vous prévu de donner une ligne directrice pour juger des films ? ». Réponse d’Isabelle : « Moi, non […] Je ne veux pas aller sur ce terrain là. ». Plus loin : « Ca doit être amusant de se croire roi d’un jour et d’ériger ses propres règles, en faisant semblant de croire que vos sujets vont faire semblant de s’y soumettre. ». Ivresse du pouvoir, quand tu nous tiens…

A quelques pas du cinéma en France, la fameuse loi Hadopi et ses sanctions abusives ont été déboutées par le conseil constitutionnel. Le duo Sarkozy-Albanel a imaginé un projet de loi obsolète, inopérant et qui a finalement permis à notre omniprésident de faire un appel du pied à quelques vieux artistes dépassés. Le téléchargement étant ancré dans les mœurs, et le projet Hadopi qui n’aurait rien reversé aux artistes déjà peu aidés par leurs producteurs, la TVA et les grandes surfaces culturelles, on estime que ce projet était tout simplement bidon. Et même si pour la pérennité de la création artistique, des mesures (réfléchies) doivent êtres prises, rien ne nous empêchera de dire que télécharger un album et aller au concert, pirater un film et continuer de se rendre au cinéma reste une formidable liberté pour le consommateur affolé de 2009.

Tout cela pour clamer un heureux « Charlotte for Ever » et informer que Quartier Libre reviendra dès Septembre, avec un autre format et un nouveau nom.

Romain Genissel

Charlotte Gainsbourg

Elle en a fait du chemin la petite Charlotte qui chantait avec papa, d’une voix tremblotante, Un zeste de citron…! Ce duo provocateur l’avait fait connaître de tous. Mais qui, en cette année 1984, aurait pensé que la jeune fille au physique jugé ingrat se hisserait au rang de star internationale, et cela dans la très prisée catégorie des vedettes de cinéma ?

Alors qu’elle aurait pu se reposer tranquillement sur son étiquette de « fille de » pour percer, Charlotte prend des risques et multiplie les projets. Ainsi, en parallèle de sa carrière dans la chanson, dont la concrétisation eut lieu avec l’album 5 : 55, elle s’épanouit dans le cinéma aux côtés d’hommes de talent. On citera entre autres Claude Miller et Agnès Varda, qui l’ont dirigée à deux reprises, Claude Berri (L’un reste, l’autre part), Michel Gondry (La science des rêves), Alejandro González Iñárritu (21 grammes), j’en passe et des meilleurs.

En 2009, c’est la consécration. Présidente de la cérémonie des Césars, deux fois à l’affiche pour Antichrist de Lars von Trier et Persécution de Patrice Chéreau, qui sortira sur les écrans en décembre ; mais surtout primée à Cannes, où elle reçoit le prix d’interprétation féminine pour son rôle dans l’Antichrist. Et s’il y a des mauvaises langues pour dire qu’on récompense toujours les rôles de fêlés (Isabelle Huppert pour La Pianiste, Charlize Théron pour Monster,…) je vous invite à aller voir le film avant de persifler !

On retiendra l’hommage au père, Serge Gainsbourg, lors de la cérémonie de clôture, où la subtile Charlotte a su ne pas verser dans le larmoyant :

"Je pense aussi à mon père, qui j'espère aurait été fier de moi, fier et choqué, j'espère." Choqué, il y a de quoi. Camper cette femme qui sombre dans la folie et l’autodestruction après la perte de son enfant était une performance de haut niveau. La douce et timide actrice a dû ravaler les traits de sa personnalité uns à uns pour se projeter dans les névroses du réalisateur danois. Alors on fait comme les cannois : même si le film nous révulse, on applaudit Charlotte.


Elise Le Corre

Antichrist

De Lars von Trier


Un couple saisit au milieu d’un violent orgasme qui ne voit pas leur fils tomber de la fenêtre. Une mère (Charlotte Gainsbourg) rongée par le deuil. Eden, un lieu où « le chaos règne ». Du sang, beaucoup. Et la nature ; démoniaque nature, s’immisçant entre les amants.

Voilà un aperçu du dernier film de Lars von Trier, réalisateur danois qui s’est fait une place dans le cercle restreint du cinéma d’auteur avec Dancer in the Dark , pour lequel il remporta la palme d’or en 2000.

Pour certains un OVNI, pour d’autres un navet, Antichrist ne cesse de faire parler de lui depuis sa froide réception à Cannes ; où l’on a vu des spectateurs quitter la salle en pleine séance. D’abord mélodrame épuré, le film s’enfonce progressivement dans une atmosphère irréelle et inquiétante, pour finir avec une symbolique claudicante : la nature est l’église de Satan, la nature de la femme est mauvaise etc. Les indices déployés à la fin, qui devraient éclairer le comportement de la mère, n’expliquent rien et insufflent une pointe involontaire de grotesque. Alors on se tire les cheveux, on se demande où l’on veut en venir. Peut-être le réalisateur ne le sait-il pas lui-même. Son Antichrist semble se réduire dramatiquement à la projection narcissique de ses démons intérieurs. Ceux-ci contaminent en effet le film jusqu’à ce qu’il y ait overdose. La scène de mutilation de la 88ième minute était-elle nécessaire ? Et que dire de celle de la minute qui suit ?

Tel un corbeau, le film tourne autour de la peur, pièce maîtresse du scénario. D’abord on cherche à l’exorciser par des moyens communs – c’est là que les talents du mari psychanalyste, William Dafoe, rentrent en jeu – ensuite on imagine le lieu de villégiature le plus insupportable pour le couple endeuillé et on l’y emmène, en feignant de ne pas voir le masochisme de l’entreprise. Mais, attendez…parle-t-on toujours des peurs de la mère, où bien est-on passé insensiblement à celles du réalisateur ? Le film devient malaisément prétexte : prétexte à une explosion de violence, à une esthétisation de la nature aussi, appuyée par une panoplie d’effets spéciaux qui surgissent inopinément. Il n’en reste pas moins que, visuellement, on y trouve quelques trouvailles (les corps blancs enchevêtrés parmi les racines). Or elles s’assortissent douloureusement à cette persistante sensation de décalage, de fausse note, que la superbe performance des acteurs – voir à ce sujet l’article sur Charlotte Gainsbourg en page une – ne camoufle qu’à moitié. Le film reste une curiosité, sensorielle et visuelle. Pour les hommages, on reviendra…

Elise Le Corre


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Etreintes Brisées, de Pedro Almodovar

Suite à Volver en 2006, Almodovar est de retour sur les écrans, après un passage à Cannes fort applaudi mais non récompensé. Etreintes Brisées est un film à la structure narrative complexe, en va-et-vient entre une histoire d'amour passée et un présent se retournant forcément, via le questionnement des jeunes générations, sur ce qui le constitue. Un récit, donc, mais bien plus encore.

Almodovar ne maquille pas ses influences, d'une Pénelope Cruz transformée le temps d'un film dans le film en Audrey Hepburn, à la pourpre flamboyante du mélodrame des fifties, façon Sirk. Vertigo aussi, via une revisitation vertigineuse d'un plan d'escalier en plongée : qu'il s'agit de descendre et non de monter, mais toujours pour rejoindre une femme, et qui se substitut en un long fondu enchaîné à une bobine de film se déroulant à l'envers.
Car Mateo (Lluis Homar) était réalisateur – sauf qu'à la suite d'un accident, il est devenu aveugle, et a donc changé de métier en devenant scénariste. Il a aussi changé de nom (devenant Harry), histoire de fuir un passé trop douloureux. Tetro dans le film éponyme de Coppola fait de même, et il ne s'agit pas du seul lien entre les deux films : pour l'un comme pour l'autre le passé est image obsessionnelle (au point d'être en couleur dans un film en noir et blanc chez Coppola) qu'il s'agit de faire ressurgir pour clarifier un présent douloureux de silence ; pour l'un comme pour l'autre l'art permet d'accéder à ce passé, mais il n'est pas possible de s'y plonger en solitaire – la jeune génération doit mettre la main à la pâte à son tour ; pour l'un comme pour l'autre, aussi, la famille n'a pas forcément des contours stables mais demeure essentielle.
Mateo / Harry va donc raconter son histoire, d'amour évidemment, contrariée bien sûr. Lena (Pénelope Cruz) est sa star et bientôt son amante. Mais Ernesto veille et charge son fils (Ernesto, dit X-Ray lorsqu'il apparaît en 2008 pour demander à Harry d'écrire un scénario sur sa vie d'homosexuel complexé par un père trop influent) de filmer le tournage de Chicas y Maletas, et en particulier Lena et Mateo. Ernesto père s'adjoint les service d'une liseuse sur les lèvres histoire de déchiffrer ce qui se dit à l'image : le cinéma parlant est né, en différé encore, et avec des défauts techniques évidents (« no labios », pas de lèvres). Mais bientôt Lena survient derrière Ernesto pour se doubler elle-même.
Plus de frontière possible, de toute façon les personnages vivent leurs vies comme un film et leur film comme une vie : témoin la jambe brisée qu'il faut justifier et donc fictionnaliser pour que Chicas y Maletas s'explique quant aux béquilles de l'actrice principal, témoin le film même qu'il sera enfin possible de monter comme le souhaitait Mateo, lorsqu'à la fin le silence a finalement été rompu...


Piera Simon

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Looking for Eric, de Ken Loach

Il existe à Manchester trois clubs de foot qui pourraient bien être le miroir du monde actuel et l’image de l’histoire produite par Ken Loach pour son dernier film.

Le premier, Manchester City « blue » est le club (racheté dernièrement par un émir arabe) préféré d’une frange classe prolétaire qui ne se reconnaît pas en l’autre grand de la ville, Manchester United. Le club de Manchester United est en réalité une société qui, avec sa galerie de joueurs galactiques, survole le football européen grâce à sa position boursière et sa gestion de type multinationale. En matière de football, « Man U » est une équipe très agréable à voir jouer… Mais pour les mancuniens, les matchs se regardent dans les pubs, tant le prix du ticket pour le glorieux stadium est abusif et réservé à l’élite. Face à ce constat symptomatique du foot-business, les fans de la première heure ont cherché à se démarquer du club qui les a fait vibrer en créant une troisième voie avec une équipe mineure, dont les couleurs rappellent celles du United à l’époque où tout le monde se retrouvait et vibrait en reprenant en chœur le glorieux « Hou ha Cantona ».

Au début des années 90, les ouvriers anglais ont perdu une bataille et sont devenus malgré eux les victimes d’un système qui les écartait depuis déjà pas mal de temps. Et ce n’est pas innocent si Ken Loach a commencé à devenir plus engagé et revendicatif au moment où Thatcher montrait les crocs et essoufflait l’Angleterre de sa main de fer. Ainsi, la peinture d’une classe ouvrière déclassée et cette quête pour la reconnaissance des mal lotis qu’a entrepris Loach ont, semble t-il, été freinées par ce désarroi mondialisé que dépeint la grande oeuvre pessimiste It’s a Free World !

Plus proche de Sweet Sixteen pour son personnage que le révisionnisme classique du Vent se Lève, Loach revient ici sur le mode comique, avec un regard nostalgique porté sur ce paradis perdu qu’incarne le King français Eric Cantona.

Postier défait par une vie sentimentale qui a foutu le camp et débordé par la tenue d’une maison défaite par deux jeunes lad’s rebelles à l’autorité, Eric perd pied et tente de se suicider. Comme tout est affaire de projection, il s’en remet à son idole Eric Cantona pour retrouver sens à son existence et un peu de respect pour lui-même. L’amitié et la solidarité comme combat contre l’altérité et l’immoralisme ambiant, Looking for Eric l’illustre à chaque plan et le déroule tout au long du film. De même, les aphorismes de Canto (« ce n’est que face au danger que l’on peut se surpasser ») dévoilent le combat à mener et l’idée que ce sont les modèles à suivre qui manquent cruellement aujourd’hui.

Et l’intérêt que dans la veine réaliste de Ken Loach, une arme est un danger potentiel et pas un accessoire ou un simple jouet scénaristique. Ne pas y voir là de conservatisme mais, bien plus qu’une série américaine « frais emballée » et programmée pour du temps de « cerveau humain disponible », ce film devrait être diffusé un dimanche soir à la télévision. Car pour moi, Ken Loach joue toujours en première division.

Romain Genissel


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Jusqu’en enfer, de Sam Raimi


Aïe…Ouyouyouille…il faut m’excuser, mais mon occiput porte encore les stigmates d’un combat acharné avec le plafond de la salle de projection, effet collatéral dû aux sursauts incessants que m’a causé le dernier bijou horrifique de Sam Raimi. Un instant, il me faut prendre mes pilules anti-palpitations…


Une révélation pour ceux qui ne vont que très peu dans les salles obscures : il y eut un Sam Raimi qui n’avait pas encore (superbement) réalisé la saga Spider-Man. En effet, c’est ici Evil Dead-Man qui nous revient, en chair et sans os. Ou de l’art de ne plus avoir le début de la moindre envie de refuser un prêt à une dame âgée…


Car c’est l’erreur que va commettre Christine (Alison Lohman, remarquée dans Les Associés), qui est à mi-chemin entre la biche apeurée et l’oie blanche sournoise-tête-à-claques…et ainsi va se retrouver maudite, mais alors de la malédiction de première bourre, avec harcèlement pendant trois jours débouchant sur une damnation manu capri… Et le vil Raimi de faire lâcher les pace-makers de France et de Navarre par des artifices vieux comme Romero, mais magnifiés par les moyens audio-visuels modernes (mon royaume pour une réédition en salles de Shining…), tels que des images horrifiques qui disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues, des clinquements de divers ustensiles de cuisine, des musiques horrifiquement horrifiantes à souhait, évoquant tant L’Exorciste que le générique d’X-Files, et surtout…SURTOUT…LORNA RAVER, qui ferait s’oublier Vin Diesel et le Terminator réunis…



Cette dame vaudrait qu’on lui consacre tout un ouvrage : très rarement on aura recensé une figure horrifique aussi vomitivo-horripilante, tant pro- que post-mortem…elle suscite à elle seule, à chacune de ses apparitions, la figure artistique bien connue des amateurs d’horreur dite de la « dissimulation sous coussin » ou, à défaut, sous un bout de sweat-shirt…Quelle splendeur dans cette face pleine d’asticots ! Quel ravissement lorsqu’un cadavre avéré crache son liquide d’embaumement sans techniquement esquisser le moindre geste ! Quel bonheur lorsque le bras d’une morte s’enfonce jusqu’au delà du coude dans une bouche bien vivante ! (mais si, mais si, ma santé mentale est parfaite…) On souhaite presque que cette grande actrice s’arrête là dans ce registre, pour ne pas se laisser tenter dans un éventuel futur film similaire par le démon de l’auto-caricature…


En sortant de la salle, on ne sait si on a été jusqu’en Enfer, mais on pense lui avoir dit quelques mots…

Aïe…Fichu occiput…


Cyril Schalkens


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Soul Power, De Jeffrey Levy-Hint

Monteur pour Leon Gast, réalisateur de l’oscarisé When we were Kings (1997) relatant le mythique combat qui opposa Mohammed Ali à George Foreman à Kinshasa en 1974, Jeffrey Levy-Hint n’a pu résister à l’envie de tirer des centaines d’heures de rushes délaissés un nouveau documentaire, centré cette fois-ci sur le festival de soul music Zaïre 74 qui s’est organisé parallèlement au combat.

Sur ce point on le comprend ; force est d’avouer que douze heures de concert réunissant B.B. King, Miriam Makeba, James Brown, The Crusaders, The Spinners, Big Black et autre grands noms de la musique afro-américaine et africaine se devaient d’être montrées car elles restent absolument jubilatoire.

La force de ce documentaire vient également du fait que Levy-Hint ne cherche jamais à nous présenter les images comme un retour sur le passé. Si ce n’est la date au début du film et les quelques lignes d’introduction qui posent vaguement le décor, le réalisateur nous plonge dans le vif du sujet à travers toutes les étapes d’organisations, jusqu’aux loges des artistes et aux concerts en eux-mêmes, comme si on y était.

Dès lors, l’ambiance est électrique, entre le bœuf improvisé dans l’avion américain (on en rêve encore), tous les préparatifs festifs et les discours émoustillés par l’arrivée en Afrique, terre des origines pour toute une population afro-américaine. Toute cette animation est conduite par un désir de symboliser un retour aux sources aux airs de coup médiatique et marketing avec des artistes quelque peu surchauffés sur le sujet et qui laissent au final un peu sceptique quant à leur réelle motivation. Noyé dans des discours enflammés et engagés, le message est certes celui fédérateur pour la liberté des Noirs et leurs droits humains, mais quand Ali se met à revendiquer la différence en disant « Blancs et Noirs, nous ne sommes pas frères », là on commence un peu à tiquer. Balancé comme cela, si on oublie le contexte historique (les années 70 aux Etats-Unis, la dictature de Mobutu au Zaïre), les paroles de James Brown et Ali sonnent un brin réac’. A côté de cela, les habitants du Zaïre ont-ils leur place ? Non, ils ne sont jamais avec les artistes venus d’Amérique sauf pour signer des autographes et voir en chair et en os des idoles qui parlent de fraternité dans une langue qu’ils ne comprennent pas et qui repartiront comme ils sont venus, sans avoir changé leur vie.

Outre cette confrontation étrange entre les cultures africaine et américaine des musiciens qui suscite réflexion, on est totalement happé dans les rythmes et l’énergie extraordinaire des musiciens, pour notre plus grand plaisir. On attend avec impatience les bonus du dvd et la réalisation du projet de Levy-Hint de monter les douze heures de concert.

Ana Kaschcett


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Good Morning England

de Richard Curtis avec Philip Seymour Hoffman, Rhys Ifans, Bill Nighy

Sixties, Angleterre de Thatcher, à l’heure où l’austère BBC est l’unique radio autorisée sur les ondes britanniques. Quand la nuit tombe, une bande de huit timbrés à bord d’un bateau pirate voguant sur la mer du Nord, diffuse illégalement sur les ondes, du son à faire vibrer 22 millions de british fondus de « Sex, Drugs, Rock’n’roll ». Jouissif !

Sur les ordres de sa mère, le jeune Carl (Tom Sturridge) embarque à bord d’un mystérieux bateau pour rejoindre son parrain, Quentin (le so british Bill Nighy). Là, Carl découvre la bande explosive de Radio Rock, menée par l’imposant Comte (Philip Seymour Hoffman). Richard Curtis reprend une dominante de Love Actually ; celle de livrer une galerie de personnages exubérants et hauts en couleurs : le mystérieux Midnight Mark qui émoustille plus d’une Anglaise, Dave à la généreuse bonhomie, Simon le looser sentimental ou encore Bob le hippie des matinales, animent Radio Rock avec vitalité. Lorsque le Comte et Gavin, le roi de Radio Rock, s’affrontent au sommet des mâts du bateau, le film atteint une envergure comique mythique. Richard Curtis alterne malicieusement vie démentielle à bord du Boat that rocked et salon froid et discussions aigres du gouvernement, où le médiateur se nomme étrangement Mr. Twat (Mr. Connard, en outre). Oui, le réalisateur prend furieusement partie et rend Good morning England captivant et jubilatoire.

Richard Curtis mise alors sur la déferlante de la Pop pour traduire l’atmosphère électrique des sixties. Good morning England débute avec une ouverture clipesque sur le fameux All day and all of the night des Kinks à groupies, puis accumulent les scènes intelligemment accompagnées de classiques comme The Beach Boys (Wouldn’t it be nice), The Who (I can see for miles, My generation), ou encore Otis Redding. Son and Father de Cat Stevens apporte son quota d’ébranlement pour appuyer avec simplicité les retrouvailles de Carl et son père. Son père, qui risque de se noyer pour sauver son vinyle préféré des Beatles. Finalement, Radio Rock, plus qu’une radio, reflète un esprit libertaire qui pousse à la rébellion, à l’insubordination face à une Angleterre trop victorienne et bien-pensante. Lorsque le bateau sombre à la Titanic, le Comte, symbole de la contestation assourdissante des sixties, illustre alors tout l’état d’esprit de Good morning England : la musique ou rien. Si le film s’étire un peu sur une fin à la Love Actually (vive les embrassades.), on ne peut s’empêcher de sourire devant l’énergie communicative de Good morning England. Au générique de fin, David Bowie n’en finit pas de nous achever.

Roseline Tran


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Sunshine Cleaning


SUNSHINE CLEANING


Réalisé par Christine Jeffs
Avec Amy Adams, Emily Blunt et Alan Arkin




Sunshine Cleaning est certainement le bon « feel-good movie » à aller voir à l’arrivée de l’été. Le film, petit cadet de la nouvelle famille du cinéma US indépendant (Juno, Little Miss Sunshine…), apporte quelques rayons de soleil et donne un boost salvateur au moral. Entre drame familial et comédie modeste, Sunshine Cleaning fait le portrait d’une Amérique moderne qui travaille, qui s’entraide et qui n’exclut pas.

Il faut dire que la famille Lorkowski est assez barrée. Rose (Amy Adams), femme de ménage et mère d’un petit Oscar rêveur, gagne piètrement sa vie. Norah (Emily Blunt), sœur de Rose, est au chômage et crèche chez son père, Joe (Alan Arkin), qui essaye tant bien que mal de fructifier un étrange commerce de crevettes. Dans Sunshine Cleaning, tout comme dans Little Miss Sunshine, la famille avec un grand F, représente l’union de personnes séparées par leur tempérament. Rose, ancienne pom-pom girl s’oppose à Norah, jeune femme maladroite. Quand les deux sœurs, à cours d’argent, montent « Sunshine Cleaning », une entreprise de nettoyage de scènes de crime, le pur burlesque anime le film. Répliques réjouissantes, cocasseries et comique de situations s’enchaînent ; Oscar lèche les murs, Rose débarque dans une fête pré-natale inquiétante, Norah bute sur un lit couvert de sang, Joe, joué par le génial Alan Arkin, argumente en espagnol. Si le film privilège la bonne humeur portée par la jolie Amy Adams, il en ressort pour le moins une certaine tristesse noire où le drame disloque la famille. Sunshine Cleaning semble alors se livrer à une grisaille presque omniprésente que la famille Lorkowski ne parvient pas à défaire et partage alors sa part de (petites) émotions ; rupture et mélancolie trop rhétorique assombrissent.




Pourtant, les producteurs de Little Miss Sunshine, ne déroge pas à leur leitmotiv : faire du malheur quelque chose de risible, comme lorsqu’Oscar rencontre Winston, tenant d’une boutique de décapants d’hémoglobine et handicapé d’un bras. Sunshine Cleaning lutte contre toute forme de préjugés et se moque d’une société trop conservatrice, en chargeant la bourgeoisie traditionaliste et en livrant un grand message idéaliste de solidarité – la débridée Juno portait déjà un message pro-adoption/ pro-avortement… Norah est absolument non-conformiste, Oscar est renvoyé d’une école trop stricte, Joe est un septuagénaire roublard en mal de reconnaissance, quant à Rose, elle écume échecs social et sentimental. Finalement, le film peint une Amérique minoritaire et moyenne, celles des exclus. Sunshine Cleaning, en plus de dépeindre une galerie de personnages étonnants, multiplie les clins d’œil à Little Miss Sunshine : le post-it anti-loose de Rose rappelle les 6 points du winner de Richard. Alan Arkin, trop absent, refait une apparition moindre dans le rôle d’un grand-père farfelu. Mais s’il se veut aussi frais et lumineux, ce Sunshine là, qui laisse sur sa fin, est plutôt terne.

Roseline Tran